Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
7 octobre 2012 7 07 /10 /octobre /2012 13:48

 

« …à l’inverse de ce qui s’est passé dans l’Afrique occidentale Britannique, c’est le gouvernement français qui détermina véritablement la concession et le calendrier de l’indépendance en Afrique occidentale française et non les nationalistes africains. » (Histoire générale de l’Afrique, Vol VIII, Unesco, P. 212)

On se demande bien ce que célèbrent les Togolais lorsqu’ils fêtent l’indépendance. Olympio, comme le Christophe de « la Tragédie » d’Aimée Césaire, avait payé de sa vie d’avoir rêvé d’une destinée trop grande pour son peuple. Issue d’une famille de négociants mulâtres d’origine brésilienne, il avait fait ses études à Londres et en Allemagne et parlait six langues. Il n’était pas de « fabrication française ». Il voulait bâtir un port à Lomé et créer une monnaie frappée par les Anglais et garantie par la Bundesbank allemande. La rupture avec la Banque de France devait être ratifiée le 15 janvier 1963 : il fut assassiné le 13 du même mois.

C’est ainsi que cet ancien protectorat confié à la France par la Société des Nations (SDN) devint une colonie française. C’est Olympio que les Togolais ne méritaient pas. C’est Eyadéma qui leur ressemble.

De même que le référendum de 1958 était destiné à reformer l’idée coloniale pour mieux soustraire les colonies françaises aux puissances de la guerre froide, le discours de la Baule, en juin 1990, appelant à un renouveau démocratique en Afrique subsaharienne, adaptait la politique française à l’évolution du contexte international. La France ne pouvait pas ignorer la chute du mur de Berlin, la libération de Mandela et l’indépendance de la Namibie. Elle donna un ordre, et l’ordre fut entendu. Dès le 5 octobre, les Togolais se réveillèrent…

Comment a-t-on pu croire au Togo que la France, qui depuis des années soutient la dynastie des Eyadéma, pouvait servir d’intercesseur dans un processus démocratique auquel elle participait au nom du néocolonialisme humanitaire ?

Il faudrait cliniquement étudier la stratégie de la défaite au Togo, ou comment un peuple tout entier à l’écart du siècle a su inventer « l’indifférence ». Cinq millions d’hommes qui ne peuvent plus avancer à cause de la mer et dont la moitié en veut terriblement à l’autre de ne pas être née dans le Sud. « Querelles de poux, querelles de chiens pour l’os ». On s’invente des maux, on se dilue dans des histoires, on se dit gouverner par un despote que l’on ne cesse de diaboliser tous les jours pour mieux excuser son lymphatisme. Et c’est dans ce jeu de la diabolisation que s’installe la catharsis collective : l’évacuation des responsabilités, le transfert des agressivités dans des anathèmes imaginaires. Où l’on feint l’indignation, ou l’on mime la révolte. On ne s’insurge que lorsqu’on est prêt à mourir, et mourir pour une cause, c’est reconnaître implicitement que l’on est prêt à tuer pour qu’elle triomphe.

Hélas l’âme togolaise est bien trop habituée à s’abîmer dans l’excuse.

Enfant, on nous enseignait l’originalité et la splendeur des origines, les bienfaits d’une société communautaire fondée sur le l’entraide et le partage. L’infériorité économique se compensait par une sorte de supériorité morale, entendue, qui nous avait préservé de la corruption morale de l’Occident.  Tout cela participait d’une amnésie affective qui permettait de mieux tolérer l’administrateur français couleurs locales, qui n’hésitait pas à engloutir le budget d’un hôpital de province dans un sac Hermès acheté à sa femme.

Togolais, si vous pensez avoir été grand, sachez que vous n’êtes que les mendiants du monde.

 

Article paru dans le Gri-Gri International N°54 du jeudi 29 juin 2006, 

par l’historien sénégalais Serigne Seck

Partager cet article
Repost0

commentaires